BAGDAD (Reuters) - C’est sans éclats que le Conseil intérimaire de gouvernement (CIG) irakien a adopté le mois dernier une décision susceptible de remettre en question le statut de la femme irakienne.
Mais aujourd’hui l’opposition commence à s’organiser contre cette résolution 137 du CIG qui se propose de remplacer le code laïcisant de la famille en vigueur sous le régime baassiste par le droit islamique (charia) pour la plupart des Irakiens.
Ce texte, qui doit encore être ratifié par l’autorité d’occupation américaine, laisse à chaque composante de la société irakienne — sunnites, chiites, chrétiens, Kurdes etc. — le soin de choisir son propre droit civil.
Nombre de musulmanes voient là le signe avant-coureur de lendemains qui déchantent après la chute du régime de Saddam Hussein, un des très rares régimes laïques du Moyen-Orient.
Revenir sur cet acquis, estiment-elles, risque de soumettre à nouveau les femmes, qui forment jusqu’à 60% de la population, au bon vouloir des hommes, alors qu’elles avaient progressé vers l’égalité des sexes.
Inégalités successorales, polygamie et répudiation seront à nouveau au goût du jour si la charia entrait en vigueur, par exemple dans la communauté chiite, majoritaire dans le pays.
"Qu’est-ce que cela signifierait ? Que les femmes seraient inférieures aux hommes de façon systématique", craint Yana Mohamed, présidente de l’Organisation pour la liberté des femmes en Irak.
"En vertu de la charia, les femmes doivent obéissance, ce qui est totalement incompatible avec l’idée-même de démocratie, qui accorde l’égalité à chacun indépendamment de son sexe.
"Cela impliquerait la disparition des femmes du domaine public — social, économique et politique."
Le CIG, qui est composé de 22 hommes pour seulement trois femmes, argue que sa décision satisfera au mieux les diverses religions et sectes qui coexistent en Irak.
Sa résolution a provoqué des réactions encore relativement limitées à Bagdad, certaines favorables à la réhabilitation de la charia, d’autres hostiles.
"IL FAUT RESPECTER TOUT LE MONDE"
Les partisans de la charia assurent que celle-ci est d’essence divine et encadre les droits des femmes. Ses adversaires s’indignent qu’elle les privent de droits élémentaires et redoutent un retour à l’obscurantisme.
"Cette récente décision va être désastreuse pour les femmes. Je pratique l’islam, mais est-ce pour autant que je souhaite un gouvernement islamique ? non !", écrit une internaute irakienne sur son site internet.
Abdelaziz Hakim, un des membres en vue du CIG, issu d’une famille respectée de religieux chiites, défend bec et ongles la décision de l’instance provisoire de gouvernement. "C’est une bonne décision conforme à la liberté."
Selon lui, "il y avait une injustice réelle dans le code civil" car "il dictait aux gens comment agir dans des domaines personnels comme le mariage, le divorce, la succession". "Il faut respecter tout le monde."
Selon Yanar Mohamed, dans un pays majoritairement féminin et musulman, cet argument n’est pas pertinent. "Si la nouvelle loi exclut plus de 50% de la population, qu’importe les autres religions ? Ce qui est en jeu c’est une majorité opprimée."
Les défenseurs des droits de l’homme se préoccupent aussi des perspectives de confessionnalisation du droit civil. "Nous voulons que les femmes s’épanouissent, participent plus pleinement à la vie sociale. Or ceci va les faire reculer", prédit Issam Chalabi, responsable de l’Organisation irakienne des droits de l’homme